DES SECRETS BIEN GARDÉS
Le chêne Muriel
L’histoire de cette arrestation
Ce jeune Résistant, démasqué avec son réseau, se laissa un jour piéger et vit débarquer dans les bureaux de l’inspection des Eaux et forêts de la rue du Port au Mans, deux membres de la Gestapo venus l’arrêter.
Le 9 mars 1944, sous les yeux impuissants de M. Viney (inspecteur) et de ses collègues de travail (Mmes Blin, Goumard, Jaspard, Jouatel, Letourneur, Robert, Melles Lecomte, Caillé et M. Georges) qui ont tout fait pour empêcher cette arrestation, Georges Muriel quitta le bureau encadré des deux hommes.
Pourtant la veille, avec ses collègues ils avaient ensemble répété un plan pour disparaître par les toits. Hélas la surprise fût totale.
Baptisé le 9 mars 2002
Un chêne est dédié à la mémoire du commisforestier (1) Georges-France MURIEL exécuté au camp du Struthof (67) le 1er septembre 1944.
Baptême du chêne Muriel (27'21)
Intervention de Mme Elisabeth Allaire, Préfet de la Sarthe
Général Muriel et Madame, Armelle, Anne-Lise, Alexis, Julie, Axelle, M. le Sénateur, Colonel, Mesdames et Messieurs les conseillers généraux, Mesdames et Messieurs les Maires, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs
En forêt domaniale de Bercé, les chênes ne sont pas des arbres comme les autres. Tels des géants, ils tiennent leur noblesse d’avoir été ensemencés, au cœur de la forêt royale de Bercé, dans la futaie des Clos, vers 1650, au temps de Colbert et de Molière, mais aussi de la Fronde et de la guerre de Trente Ans.
On dit qu’ils sont capables, pour peu que l’on sache le leur demander, conter l’Histoire de France, depuis Louis XIV jusqu’à nos jours.
L’un d’entre eux se trouvait fort marri, à 350 ans, de ne pas avoir reçu de nom de baptême, à l’instar de ses illustres voisins, Boppe ou Roulleau de la Roussière.
Il se confia aux agents de l’Office National des Forêts, qui décidèrent de lui donner le nom du commis forestier (1) Georges France Muriel, exécuté au camp du Struthof dans le Bas-Rhin le 1er septembre 1944.
Né à Montsûrs dans la Mayenne le 30 septembre 1914, Georges France Muriel est le fils de Léontine-Marie et de Louis, mort au combat dans les Flandres en mai 1915. Il fait ses études à Mamers, habite Le Mans où il épouse Arlette en juillet 1938. Ils ont un fils Michel le 14 octobre 1942.
Engagé volontaire au titre du 117ème régiment d’infanterie en garnison au Mans, nommé sergent-chef le 10 février 1940, il est démobilisé le 9 août 1940 à Pierre Buffière en Haute-Vienne. De retour dans ses foyers, il présente et réussit le concours de commis des eaux et forêts, et est affecté à l’inspection du Mans.
Dans la France Occupée, les organisations de la Résistance se mobilisent.
Georges Muriel entre en septembre 1943 dans le service de renseignement “Alliance” qui fonctionne depuis l’automne 1940.
Il est agent de renseignements et de liaison du secteur de Nantes.
Après la capture de ses initiateurs, c’est Marie-Madeleine Méric dite “Fourcade”, dite “Hérisson” qui assure la direction générale du réseau pendant toute la guerre. Afin de brouiller leurs traces, les membres du réseau Alliance ne se connaissaient en effet que sous des noms d’animaux. Pie, Hermine, Rossignol, Eléphant, faisant … que les allemands les appelaient l’Arche de Noé".
L’Arche, forte de 3000 agents environ, répartis sur l’ensemble du territoire occupé
dans des secteurs géographiques au nom codé, tel “La Ferme” pour notre région,
a fourni aux Alliés des renseignements aussi précieux que l’existence des
armes secrètes, l’emplacement de leurs rampes de lancement, le mouvement
des escadrilles fascistes et des ravitailleurs allemands pendant la bataille du
désert, celui des U-Boot dans l’Atlantique, la carte complète des installations
allemandes sur les plages de Normandie.
Le Général de Gaulle qualifia d’ailleurs ce réseau de " l’un des premiers et plus importants services de renseignement sous l’Occupation “.
Les informations étaient collectées par des patrouilles de 2 à 3 hommes et transmises par diverses voies.
Si vous le souhaitez, A 711, alias Stean, M. Deldicque, ici présent,
membre de ce réseau, pourra vous donner toutes informations tout à l’heure.
Ces hommes, ces femmes, prenaient des risques considérables. Ils le savaient. Ils avaient fait le choix de résister. C’est ainsi que le 9 mars 1944, vers 11 h 30, dénoncé par un agent à la solde de l’ennemi, Georges France Muriel, fut interpellé dans les locaux de l’inspection, rue du Port, au Mans. M. Viney, alors inspecteur et ses collègues de travail, dont plusieurs sont présents aujourd’hui, tentèrent, en vain, d’empêcher cette arrestation.
Lettre de Viney à Madame Muriel
Ils le virent partir, encadré par deux membres de la Gestapo.
Mme Letourneur se souvient même qu’il endossa alors un manteau neuf, et avoir pensé qu’ainsi, il aurait moins froid.
Georges Muriel n’eut pas le temps de mettre en œuvre le plan de fuite par les toits, qu’il avait élaboré et testé.
Aucun de ses collègues ne le reverra, Aucun de ses proches ne l’étreindra plus, Son fils Michel ne le connaîtra pas, Ni ses petits-enfants : Armelle, Anne-Lise et Alexis.
En effet, en application d’une ordonnance personnelle d’Hitler,
les agents de certaines organisations de la Résistance faits
prisonniers, dont le réseau Alliance, furent classés “Nacht und Nebel”.
Ces hommes et ces femmes devaient disparaître comme s’ils s’étaient évanouis dans la nuit et le brouillard.
Après l’internement à Fresnes, s’ensuivit pour les prisonniers de l’Alliance, la détention dans les prisons du pays de Bade ou au camp de Schirmeck.
Georges Muriel s’y trouvait lui-même à la fin du mois d’août 1944 alors que l’avance très rapide des Alliés laissait augurer aux détenus qu’ils pourraient bientôt tourner cette sombre page de l’Histoire.
Lettre de R.Viney à Madame Muriel
Mais, dans les nuits du 31 août et du 1er septembre 1944, renonçant à tout faux-semblant judiciaire, les nazis transfèrent les prisonniers du réseau, vers le camp d’extermination tout proche du Struthof, les exécutèrent, vraisemblablement d’une balle dans la tête, puis brûlèrent leurs corps.
108 hommes et femmes du réseau Alliance, dont Georges Muriel, moururent pendant ces nuits d’épouvante et d’horreur.
Comment qualifier de tels actes ? Comment trouver les mots pour le dire ?
Notre mémoire est la seule sépulture d’hommes, qui, tel votre père, Général Muriel, ont su dépasser leur destin individuel pour ne considérer que le destin collectif de la France. Ils nous ont offert, nous offrent encore aujourd’hui, une leçon sur le courage, les convictions, l’engagement.
II nous appartient de la méditer.
Le chêne, que nous avons dédié il y a quelques instants à Georges Muriel, et, à travers lui, à tous les forestiers- résistants et aux combattants de la Résistance, se dresse fièrement vers le ciel pour nous rappeler que des hommes ont sacrifié leur vie pour que nous vivions libres !
Avant de conclure, je voudrais m’adresser en particulier à Georges Muriel en ces termes :
Georges, Vous avez fait le choix de résister vous avez fait le choix de faire couler les larmes de votre mère, de votre femme et de votre fils, pour que notre patrie recouvre sa liberté.
Soyez en remercié et recevez notre éternelle reconnaissance !” En dévoilant cette plaque, nous avons uni à jamais le destin d’un grand arbre à celui d’un grand homme, votre père Général Muriel, votre grand-père Armelle, Anne-Lise, et Alexis, votre arrière grand-père Julie et Axelle.
Par ce geste, nous avons confié à cet arbre des moments douloureux de la vie de notre pays. Oui, ces pages d’histoire, nous te les confions, à toi, noble chêne Muriel, rasséréné aujourd’hui, à toi, qui t’es promis, tant que Dame Nature te prêtera vie, de susurrer aux oreilles du Monde, des messages de Paix et d’Espoir. Longue vie au chêne Muriel !
Vive la France !
Par son sacrifice et par les services qu’il a rendus, Georges France Muriel a bien mérité de la Résistance et compte parmi les glorieux artisans de la victoire.
À titre posthume Georges Muriel recevra le 24 août 1945 la médaille d’Honneur des Eaux et forêts. Sous-lieutenant par assimilation de son grade dans la Résistance, il est nommé chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur par décret du 13 septembre 1954; nomination qu’accompagne l’attribution de la médaille de la Résistance et de la Croix de Guerre avec palme.
Les grands témoins :
Voici quelques paroles d’enfants de 5 et 6 ans, des classes “grande section maternelle et CP” situées à saint- Vincent-du-Lorouër, relevées à l’issue de la cérémonie de baptême du chêne Muriel, le 9 mars 2002. «…il y a beaucoup de monde », « …il fallait que l’on soit silencieux », «… il y a beaucoup de drapeaux », « … oh! Il y a des personnes avec des uniformes », « …c’est bien d’avoir baptisé un arbre pour un monsieur qui travaillait dans la forêt et qui est mort pendant la guerre ».
Leurs institutrices, Magali Pichon et Annie Bordaiseau, nous confieront plus tard que les enfants étaient fiers d’avoir porté la gerbe, leurs dessins et poèmes en présence des autorités, au pied du chêne, d’avoir été gentils et silencieux. Ils ont été fortement impressionnés par le côté solennel de la cérémonie.
Participaient également à la cérémonie les arrière-petits-enfants de Georges France Muriel.
Intervention de Mr Jean Bourcet (2)
Je saluerais d’abord Madame le Préfet qui témoigne par sa présence de l’importance du sacrifice fait il y a prés de 60 ans par les résistants français.
Je voudrais tous Mesdames et Messieurs vous remercier de vous être déplacés pour rendre un hommage particulier à Monsieur Georges France Muriel.
Dans cette fin d’hiver il est bon de jeter un œil en arrière pour mieux apprécier ensuite la renaissance de la nature et de la vie. « Ceux qui ne tiennent pas compte de l’histoire sont condamnés à la répéter » (3).
Naturellement les forestiers s’intéressent à l’histoire. Les Directeurs Régionaux de l’ONF se sont appelés longtemps Conservateurs des Eaux et forêts et ce avant la réforme de 1966. Notre métier nous conduit à porter un regard attentif au passé des peuplements pour mieux en anticiper le devenir.
Le devoir de mémoire est donc chez nous un devoir professionnel. Les chantiers forestiers ont accueilli pendant la guerre de 39-45 beaucoup de personnes qui devaient se cacher. Lors de l’établissement du STO (Service du Travail Obligatoire) le flux s’est renforcé.
Les lieux reculés et bien sûr les forêts ont servi de refuge aux résistants.
Il est donc doublement symbolique de baptiser un arbre et plus spécialement un chêne en mémoire du résistant Georges France Muriel.
Le chêne est à la fois le symbole de la longévité comme doit l’être notre mémoire, et de la majesté comme la été son action. L’arbre est un être vivant et notre devoir de mémoire doit rester vivant au travers des générations.
L’action de Monsieur Georges France Muriel n’est pas morte elle conditionne et dans le bon sens, notre vie actuelle.
Enfin je reviens sur le prénom du commis Muriel. Que son deuxième prénom soit France ne peut pas être du hasard. Que son père ait donné sa vie pour la France en 14-18. Que lui-même ait donné sa vie pour la France en 39-45. Tout cela est inscrit pour l’éternité dans ce deuxième prénom.
Les égyptiens attachaient une importance capitale à la dénomination des gens. Pour eux c’était pratiquement lié à la compréhension des gens voire pour le nom secret à leur appréhension.
Le commis forestier Georges France Muriel s’est engagé très tôt dans la résistance et le renseignement. Il l’a payé de sa vie pour notre liberté. Que cette leçon nous inspire. Nous formons tous une chaîne humaine qui s’étend au-delà des générations et les unit. La devise de Briançon (la ville la plus haute d’Europe) le rappelle : « Le passé répond de l’avenir. »
Autres articles concernant les chênes remarquables:
Chêne Roulleau de la Roussière
Inauguration de l’ancien chêne Boppe
Enquête sur la mort du chêne Boppe
Références :
(1) les commis étaient les anciens brigadiers ou gardes des Eaux et forêts, détachés comme sédentaires à l’inspection ou à la conservation et venant en appui technique renforcer les équipes des forêts Sarthoises.
(2) Directeur Régional de l’ONF pour la Bretagne et les Pays de la Loire.
(3) Santayana (Philosophe américain d’origine ibérique)
Dossier réalisé avec le concours du Général (cr) Muriel (son fils), de l’Amicale des anciens combattants et prisonniers de guerre de Pruillé-l’Éguillé, l’ONF et le secrétariat de la Préfecture : Arlette Chaligné.
Revue Au Fil du Temps N° 15 & 17 - Pages diverses (Y. Gouchet - 2002)