DES SECRETS BIEN GARDÉS
Le martelage
Le martelage est une opération sylvicole qui consiste à désigner les arbres à abattre, à l’aide d’un marteau et de son empreinte.
Peu de photos anciennes relatent cette particularité du métier de forestier sur Bercé.
Les gestes du marteleur se répètent inlassablement depuis l’arrivée des premiers forestiers sur le Massif de Bercé : (Gaubert (Gausbertus) forestier de Cléopas de Nouâtre en 1067 et Foucher, forestier de Gervais II, seigneur de Château du Loir (1071).
Martelages et griffages sont deux opérations ou le forestier peut librement exprimer son talent, car choisir un arbre pour le porter à la mort, n’est pas un acte sylvicole vide de sens.
Le martelage
C'est la désignation à l’aide d’un marteau
(dit marteau de l’État)
des tiges abandonnées à l’exploitation en
leur laissant au centre d’un flachis
une marque réputée infalsifiable et identifiable.
La marque AF du flachis rond désigne à l’époque
aussi bien l’administration forestière que celle
des finances qui étaient un temps ...les mêmes.
La falsification de l’empreinte du marteau est
punissable de la même peine que la contrefaçon de monnaie.
Par le passé
Les marteaux utilisés en opération conjointe de martelage étaient, eux, conservés à l’inspection du Mans dans un coffre, et amenés par l’inspecteur ou agent sur le terrain les seuls jours “d’opération”.
Le 6 août 1899 il est noté dans les livrets que «les empreintes des marteaux de l’État sont déposées au Pavillon de Bercé, dans l’armoire de la chambre de Mr l’inspecteur» .
Le 24 mai 1894, l’inspecteur Chautan de Vercly et son adjoint Roulleau de La Roussiere visent ainsi le matin, en guise de prologue au martelage, les livrets d’ordres des préposés en y apposant cette phrase Vu par les agents forestiers en tournée….d’ailleurs, depuis le 15 mai, c’est tous les jours qu’est laconiquement inscrite sur les livrets des préposés la phrase suivante : Accompagné Mrs les agents forestiers aux opérations dans les 1ère, 2ème et 3ème série, pas de répit donc… même le jour du seigneur !
L’équipe est composée des préposés (ou gardes qui tiennent marteaux et compas), du brigadier (qui pointe les appels sur une feuille de pointage) et d’un, voir deux agents en tournée (inspecteur ou garde général, qui supervisent l’opération).
28 septembre 1868 : Leroux note Rendez vous du brigadier à la loge de Croix-Marconnay pour présenter les marteaux à Mr le sous-inspecteur.
Alors, sur l’ordre du brigadier, les gardes prirent dans la voiture les sacs à provisions et les suspendirent à une branche dans le massif. Ils accrochèrent également sous bois, à quelque distance, les sacs qu’ils portaient en bandoulière… On tira ensuite du coffre les marteaux de l’État enveloppés dans un étui en cuir fermé par une double serrure. Les étuis furent ouverts par l’inspecteur et un marteau remis à chacun des gardes.
Récit forestier de Ruault de Champglin
Le Journal Officiel du 22 juin 1896 (1)
fait savoir que, dans les futaies
de la 15ème conservation, les coupes
d'ensemencement et secondaires,
assises par volume, sont marquées en
réserve, et que ce mode de procéder
offre un double avantage :
**1.** — Les enlèvements illicites d'arbres
conservés pour le réensemencement ou l'abri
des jeunes recrus sont beaucoup plus faciles
à constater que dans les coupes marquées
en délivrance, où les récolements, rendus
souvent presque impossibles par les broussailles
et les hautes herbes, ne constituent guère
qu'une simple formalité. Pour plus de garantie,
d'ailleurs, tous les arbres réservés sont
marqués à la couleur d'un numéro d'ordre très
apparent qui permettrait de constater immédiatement
toute extraction « frauduleuse »
et de retrouver la souche de l'arbre enlevé ;
**2.** — Les arbres livrés à l'exploitation,
ne portant aucune empreinte du marteau de
l'État, peuvent être exploités par extraction
de souche; ce qui permet, d'une part,
de tirer parti de la portion la plus grosse
du tronc, avantage qui n'est pas à dédaigner
dans une région où le prix des gros chênes
s'élève, comme par exemple dans la forêt de
Bercé, jusqu'à 76 fr le mètre cube en grume,
et, d'autre part, d'ameublir le sol pour
l'exécution des repeuplements artificiels mis
en charge sur les coupes par application
de l'article 13 du cahier des clauses spéciales.
Bibliographie : (1) Revue des Eaux et Forêts - 1896.
Les marteaux
Le marteau particulier et le marteau chablis.
Chaque garde était propriétaire, donc responsable de l’utilisation de son propre marteau particulier qui servait uniquement à la reconnaissance des souches exploitées et des délits reconnus. Jupilles le 11décembre 1898, le Brigadier MAUNY, « remet au garde JOUAUX, un marteau particulier neuf, car l’ancien est usé. Le prix d’achat est 12fr, les frais de timbres, transport et envoi de mandat de 1fr. Total du prix de revient : 13fr. L’ancien marteau a été payé au garde sortant 0fr50 par JOUAUX ». L’empreinte du marteau particulier du garde forestier cantonnier est ovale, toutes les autres sont carrées
“Les marteaux forestier, sujet traité par Alain Macaire”
Les marteau de l’État n° 1 & 2 :
Sur des illustrations de P. Berthelot, R. Bacchetta et JC. Chausse nous renseignent sur cet outil en vogue en forêt depuis 7 siècles par le biais d’une étude sur le sujet : “Les marteaux régaliens”
L’empreinte du marteau de l’État telle que nous la connaissons aujourd’hui (ronde) est définie par l’administration le 14 août 1830. Les empreintes portent alors en relief les lettres AF (pour Administration Forestière) en caractères gothiques, ainsi que le numéro de conservation suivi de celui d’inspection, l’ensemble entouré d’un cercle. Il faut noter qu’entre le début XXe siècle et la création de l’ONF en 1964, le numéro d’inspection disparaît et celui de conservation n’est plus obligatoire. le marteau N° 2 del’État dit marteau chablis possède une empreinte hexagonale.
(1) - Empreinte du marteau sous l’Empire :
empreinte retrouvée sur une poutre de la
maison forestière des Étangs lors de la
rénovation de la toiture.
(2) – flachis au corps sur un chêne abandonné.
Le flachis de la marque au pied est quand
à elle faite en premier (pour ne pas l’oublier)
(3) – Empreinte du marteau de l’État N°1.
L’arbre abandonné doit être obligatoirement
porteur de celle-ci.
“Généralités sur le marteau forestier à travers les âges (partie 1)"
“Généralités sur le marteau forestier à travers les âges (partie 2)"
La prise des mesures de l’arbre : Avec le compas forestier, gradué de 5 en 5cm pour la prise du diamètre et l’œil du forestier ou aujourd’hui un dendromètre pour la prise des hauteurs.
Puis avec force et conviction, crie en direction du pointeur, l’essence, le diamètre, la hauteur estimée et la qualité.
La logistique des martelages est lourde.
Mrs les agents viennent du Mans en train ou tramway jusqu’à Jupilles (1920). Ils déjeunent à l’hôtel Saint Jacques et louent sur place une carriole pour la semaine, (ou plus tard une voiture chez BELLANGER). Ils découchent bien souvent sur Jupilles, à l’hôtel (avant 1813), voir dans les maisons forestières des brigadiers (après 1813) car une chambre doit leur être entièrement réservée. Depuis 1891 le Pavillon de Bercé (propriété de l’administration) deviendra la résidence officielle de ces messieurs. « Pour les martelages, chaque jour, le personnel convoqué comprendra 6 gardes ». L’heure du lever est matinale sachant que les moyens de déplacement sont sobres : …à pied ou à vélo.
Le repas de martelage
Par le passé :
"Les gardes et le brigadier posèrent des fagots en cercle
et s'assirent en cercle. Quand à "ces messieurs" ils
n'eurent pas de sièges plus confortable.
Seulement un tronc de hêtre grossièrement équarri,
devant lequel ils se placèrent leur servît de table
et supporta la viande froide, les œufs durs,
le pâté, les bouteilles de vin, le café et les verres".
(Ruault de Champglin)
Seule véritable pose d’une journée trop souvent venteuse ou pluvieuse, il était “tiré du sac” et pris en commun au sec dans un abri forestier, si la troupe pouvait en disposer, sinon au pied d’un généreux chêne. Deux groupes se formaient alors, d’un côté le brigadier et Mr l’inspecteur, ….de l’autre, les préposés. Deux feux étaient alors allumés.
Plus tard, au siècle dernier et jusque dans les années 1950, les repas seront pris dans les maisons forestières, la salle à manger étant seulement réservée au brigadier et à Mrs les officiers forestiers, la cuisine au reste de la troupe, chacun se faisant un devoir d’apporter son repas. Ces repas partagés étaient pour l’équipe un bon moyen de renforcer les liens et la cohésion et de synchroniser cette activité….mais parfois …..gare au pousse café….qui pouvait rapidement en ralentir certains.
On donne encore au dernier repas de la saison le terrible
nom de « tuer le chien ». Cette expression trouve aisément
son fondement dans la quête du forestier à vouloir,
à l’arrivée des beaux jours, enterrer les trois saisons
de labeur (automne, hiver et printemps).
Car c’est bien une vie de chien qu’il a partagé avec ses collègues,
lors de journées chargées en humidité… car en sous bois
on attrape vite des rhumatismes, qui se révèlent
quelquefois tardivement, mais on ne perd rien pour attendre.
Les martelages à l’extérieur:
Traditionnellement, les forestiers de Bercé participent depuis des lustres aux martelages des forêts de Bellebranche, de Brette, des Hospices du Mans et du bois des pauvres de Saint-Mars-de-Locquenay. Ainsi, de 1931 à 1953 (retraite) Deneu Constant, ancien garde chasse dans les bois contigus à ceux du bureau de bienfaisance est devenu, sur recommandation du maire, garde auxiliaire des Eaux et forêts à Saint-Mars-de-Locquenay (Sapins des Pauvres).
Martelages en forêt de Bellebranche :
1883 : Déplacements
- indemnités de route
par myriamètre (10km)
Directeur : 10 f,
Conservateur : 6 f,
Brigadiers ou gardes : 1 f
- Indemnités de séjour par journée :
Directeur : 40 f,
conservateur : 12 f,
Brigadiers ou gardes : 3,35 f.
Le 9 avril 1924 : Départ par le train de Mayet à Sablé : 4,85 f + le vélo 0,55 f = 5,40 f. Puis en vélo jusqu’à Bellebranche et le soir retour à Sablé (24 km en vélo). Un découché et un petit repas : 6 f. Le lendemain 10 avril, pris le train pour Le Mans : 3,85 f + le vélo 0,50 f = 4,35 f.
Martelages bois des Hospices :
Martelage dans les bois de l’Hospice (45 km en vélo du Mans à Allonnes) - Repas à Pontlieue : 7 f.
Autres forêts :
Bois de Changé. Repris le train à Arnage le soir pour Ecommoy : 0,90 f + le vélo 0,50 f = 1,40 f.
En 1938, les préposés recensent les stocks de bois dans les propriétés particulières.
En 1941, le 26 novembre, les forestiers de Bercé, accompagnent de 10h à 19h leur inspecteur à un martelage dans le parc du château du Grand-Lucé. Pendant la dernière guerre, l’approvisionnement en bois de l’armée imposera aux préposés forestiers de visiter et de marteler bon nombre de propriétés privées.
Souvenirs de Rémond Lorne sur les martelages en Sarthe.
De novembre à mai, nous étions en forêt deux jours par semaine pour marquer les coupes, les “martelages” (du nom de la petite hachette marqueuse, le marteau forestier, dont le vol ou l’imitation de la marque était passible des “travaux forcés”).
Les journées de martelage étaient fort sympathiques, avec un Brigadier et cinq ou six gardes et tout un cérémonial précieusement respecté; le personnel était évidemment en tenue, et, de ce fait, il me paraissait évident que je devais y être moi aussi. Je me suis toujours mis en uniforme pour aller en forêt. Mais j’étais le seul des officiers de l’ouest, avec le conservateur… mais il y allait rarement en service ;
Viney, comme les autres, y usait ses vieilles affaires, ce qui m’a toujours choqué. Monsieur Blouère, y allait aussi une ou deux fois par semaine en civil, mais pour chasser avec l’équipe des locataires de la chasse à tir à Bercé. Il avait toujours un très bon chien courant, Navaro, et était accompagné de son garde particulier, Léopold. Il assimilait au service ces journées où se donnait libre cours sa passion pour la chasse “qu’il avait communiquée à son fidèle chauffeur. Monsieur Georges. C’était vraiment le bon temps, pouvons-nous penser aujourd’hui. Les jours de martelage, nous déjeunions dans un petit bistrot de village proche de la forêt, et y bavardions agréablement, souvent sur des thèmes politiques ou religieux, avec des convictions très voisines, mais cependant, pour Viney, des nuances plus conservatrices que pour moi.
Reportage à Bercé de Roger Gicquel (4'04) Archive de l’I.N.A. (1994) sur le martelage en forêt de Bercé.
En fin d’année 2021 Le Meilleurs des Mags sur France 3 (7'05)
C’est en Sarthe, en forêt de Bercé … Un martelage qui se passe aujourd’hui…
Autres articles concernant les personnels forestiers :
Les travailleurs du 19ème siècle
Bibliographie :
Le massif forestier de Bercé (Y. Gouchet - 2002) & Bercé, une forêt d’exception (Y. Gouchet - 2018)