DES SECRETS BIEN GARDÉS
Le loup à Bercé
Le loup … une bête mystérieuse qui terrorise la contrée
Les relations Homme-Loup datent de la préhistoire : une peinture rupestre représente un loup sur les parois de la grotte de Font-de-Gaume en Dordogne.
La période romaine véhicule des idées positives sur le loup, qui participe à la légende de la fondation de Rome, par une louve allaitant Romulus et Remus. Par la suite, le loup sera associé à la fécondité, mais aussi à Mars, dieu de la guerre et à Apollon, dieu de la lumière.
Les auteurs gréco-latins ne signalent pas d’attaque du loup sur l’homme, ou s’il y en a une, elle est décrite comme anormale.
Durant le Haut Moyen Âge, le passage du monde païen au monde chrétien diabolise le loup : il appartient à un monde sauvage, inaccessible et incontrôlé qui agresse des humains, d’où la lutte pour en éloigner le danger.
Au IXe siècle, Charlemagne créée les louvetiers, qui traquent loups, louves et louveteaux. Les louvetiers font obtenir des primes aux gens qui les aident à chasser, d’où une régression du loup jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Au 18e siècle, la lutte contre le loup s’accélère. La Révolution accorde le droit de chasse aux populations et le port d’armes à feu. Napoléon permet l’organisation d’une lutte exterminatrice. Au début du 18e siècle, le loup était partout.
Ce que racontes les registres paroissiaux et communaux !
Marigné : Bête dévorante
Le 23e jour de mai 1690 est
décédée et a été dévorée par
cette maudite bête qui fait
tant de ravages Jeanne PELOYS,
fille de défunt Jean PELOYS,
âgée d’environ 15 ans et le
lendemain 24e du dit mois,
son corps a été enterré par moi curé,
au petit cimetière, présents Marie PELOYS
sa sœur et Marie BOULLAY sa belle
mère et Marin DRUGEON son cousin et
ont les présents signé :
DORISSE curé de céans
R. GROISIL,
R. LEVILLAIN
R. PAVY
Primes de 1750 :
levée de 2000 livres sur tous les contribuables aux
Tailles de la généralité de Tours (impôt royal sur
les ressources des roturiers) pour gratifications
aux destructeurs de loups à raison de :
20 livres pour une louve ;
10 livres pour un loup ;
3 livres pour un louveteau (était considéré
louveteau, l’animal pesant moins de 16 livres).
1752 : levée de 4000 livres, dans le même but.
Thoiré sur Dinan,le 29 mai 1753 Le corps de Marie Vérité âgée de 8 ans, décédée d’hier a été inhumé en le petit cimetière de cette paroisse par moi prêtre vicaire d’icelle soussigné le 30 de mai 1753, J.H. Lepingleux.
Attaquée du loup carnassier ou cervier à 8 heures et demie du matin à la tête de la procession des Rogations le 29 de mai et secourue de ceux qui y assistaient et mourut à 2 heures après midi. Julien Maurice Leroux de Saint Laurent Requeil, le 30 septembre 1753 : sépulture d’enfant dévoré par une bête carnassière.
L’extermination des loups
On pense qu’elle provient de la révolution sociale (conquête du droit de chasse pour les manants) et technologique (amélioration des armes), du début du XIXe siècle alors que le loup avait sa place dans une société aristocratique qui le protégeait comme gibier avant que les paysans, devenus citoyens, l’éliminent comme prédateur.
Notons pour la petite histoire que 130 loups
et 200 louveteaux seront abattus en
Sarthe entre 1750 et 1757.
- 1er janvier 1761 – 31 décembre 1764 :
356 loups, louves et louveteaux détruits
(2658 livres de primes).
- 14 mai 1765 : nouvelles primes :
20 livres par louve - 24 livres par
louve pleine - 12 livres par loup -
6 livres par louveteau.
- 9 décembre 1771 : Maintien des primes
habituelles, sauf celle pour le louveteau
qui s’élève à 10 livres.
- 13 février 1781 : Prime pour louveteau:
6 livres ; aucun changement pour les autres.
4 mars 1789, cahier de doléances de Marigné.
Art. 2, que la proximité de la forêt de Bercé l’exposant aux ravages des grosses bêtes, on recommence à les y laisser trop multiplier.
Art. 3, « Qu’il paraîtrait dans l’ordre que Messieurs les Conservateurs qui ressentent seuls le commode de la chasse de ce gibier, s’occupassent plus souvent de celle des loups qui, depuis deux ou trois ans, font des torts considérables ».
Nuit du 4 août 1789, assemblée constituante :
abolition des privilèges dont celui de la chasse.
Art. 3. Le droit exclusif de la chasse ou des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire ou faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformeraux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. Toutes les capitaineries même royales, et toutes réserves de chasse, sous quelque dénomination que ce soit,sont pareillement abolies et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. M. le Président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l’élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l’abolition des procédures existantes à cet égard.
15 septembre 1790,
A Saint-Pierre du Lorouër :
Art. 3 : Le voisinage de la forêt et des bêtes fauves qui l’habitent, nuit beaucoup aux paroisses voisines : ce qui les met dans l’état de réclamer des diminutions sur les impositions à proportion des pertes.
25 septembre 1790, Marigné : Jean Jouffroy de Marigné reçoit 25 livres (33 jours 1/3 de travail) pour la destruction d’une louve par lui tuée le jour d’hier, en la forêt de Bercé, au canton de Profondevaux : laquelle représentée, l’oreille droite lui a été coupée.
6 octobre 1790 à Pruillé l’Éguillé : François Gagnon, bûcheur de Pruillé l’Éguillé, présente un jeune loup de 6 à 7 mois, tué le jour d’hier en la forêt de Bercé, au canton de La Croix de la Lune. Il en reçoit 3 livres (4 jours de travail), l’animal représenté, l’oreille droite lui fut coupée.
25 mai 1792, à Marigné : 8 louveteaux capturés par René Chevalier, bordager à Haute-Perche, Pierre Simon à la Guérinière et Jean Germain à Haute-Perche. Gratification de 40 livres.
6 octobre 1796 : battues avec participation des habitants des communes circonvoisines exécutées sous la direction de la force armée sous les ordres du général Quesnel en forêt de Bercé.
22 janvier 1797 : valeur métallique. L’assignat de 100 livres ne valait plus que 15 livres 2 sols.
1807 : Primes : 18 francs pour une louve pleine - 15 francs pour une louve non pleine - 12 francs pour un loup - 6 francs pour un louveteau. Le maire ne devait délivrer son certificat qu’après avoir coupé les 2 oreilles et s’être assuré que le corps avait été enterré. La destruction d’une louve pleine payait la valeur de 100kg de froment.
1818 : Pièges et traquenards, chasses à courre ou à tir faites isolément ou en battue (en mars et en décembre), empoisonnement (noix vomique : «La noix vomique contient plusieurs alcaloïdes dont le principal est la strychnine »). En Sarthe, le loup est commun partout jusqu’au début du XIX e siècle. Il disparaît ensuite progressivement de la région du Mans et du sud sarthois.
Mayet 1826
En juin 1826, une louve qui rôdait autour des jardins du bourg de Mayet, enlève par ses jupons un enfant tout jeune, qu’elle emporte et dépose, à peu de distance, au milieu de plusieurs louveteaux à la pâture desquels elle le destine probablement. Poursuivie par la mère de cet enfant et par plusieurs personnes accourues à ses cris, la louve se sauve et permet de l’enlever de cette affreuse compagnie sans qu’il lui fût arrivé aucun mal. Les louveteaux furent détruits, mais on ne put atteindre la mère.(Julien Rémy Pesche)
Un certain Chevreau s’en revenait
d’un mariage sur Marigné avec des galettes.
(le grand père est né en 1838).
Entendant brousser derrière lui,
il se réfugia dans un petit
hêtre et donna les galettes aux
loups qui le suivaient, jusqu’à la dernière.
Puis, il joua du violon,
faisant fuir ses assaillants.
Témoignage d’Adrien et Claudette Borderon
Dernier loup tué en forêt de Bercé : 1870.
« Joël Picard a interrogé en 1992, madame Germaine Delhaye, née en 1898, et qui avait travaillé un certain temps en forêt de Bercé. D’après ses dires, on avait pendu les deux derniers loups de la région pendant la guerre de 1870, près de la Testerie, territoire de Jupilles et, au même endroit, on avait enterré un Autrichien. »
Primes
Après 1870, il est encore présent sur la frange Nord-Ouest de la Sarthe (région de Sillé, Alpes Mancelles, massif de Perseigne). Le dernier loup abattu officiellement dans le département de la Sarthe (avec prime) a été tué en juillet 1893 sur la commune de Nogent le Bernard. Les données plus récentes ne peuvent correspondre qu’à des spécimens échappés de captivité.
Début 20ème, le loup n’est plus présent que sur 4,5 % du territoire français. En 1923, on n’en trouve plus que deux îlots, dans l’Est et le Poitou.
Aujourd’hui, au début du XXIe siècle, l’ONF et l’Environnement recensent environ 120 loups sur le territoire national.
Les lieutenants de louveterie
Nommés par le préfet, ils sont chargés d’organiser la destruction des bêtes fauves ou nuisibles en dehors des périodes de chasse autorisées.
Sur Bercé se succèderont ainsi :
Mr. Dutrochet (1869)
puis Mr. Derre (1882)
Mr. Dinaux des Arsis
Mr le Comte d’Argence (1894)
Mr le Marquis de Vancé (1897)
Mr Pierre Guillais,(propriétaire 15 rue de
Bouère à Sablé sur Sarthe-1903)
Mr de la Blanchere (1910)
Mr Jean de Champchevrier, Indre et Loire,
propriétaire à Charentilly.
Mr le Baron de Layre, Eure et Loir, lieutenant dans l’Orne,
propriétaire à Beaumont les Autels (1910-1914)
Mr Louis Marion propriétaire, 99 boulevard Négrier au Mans
et à Pontvallain (1916-1925)
Mr Georges Willekens, industriel à la Flèche,
membre fondateur de l’association
des Lieutenants de Louveterie de France (1925-1932).
Mr Foneau André (Parigné 1938)
Jean Huger (exploitant à Chahaignes)
Mr d’Andigné (château de Maigné)
Mr Gustave Marchand (exploitant à
St Germain de la coudre).
Mr Foucher (1959-1963)
Mr Jean Louis Coupe
Mr Claude Cureau (1982)
Mr Roland Dupui (1998)
Mr Marcel Tessé (1990-1998,
qui se blessera mortellement
avec son fusil prés de la forêt).
Fin 19e, il reste trois grands îlots de présence du loup : Est, Massif Central et Poitou.
Autres articles concernant la chasse ou la pêche:
Bibliographie
-
Textes de Joël PICARD et Yves PIRAUX.
-
Tiré de la revue Au Fil Du Temps : Peurs et Rumeurs n° 47 (pages 26 à 28) et 48 (pages 17 et 18).
-
Archives départementales de la Sarthe (supplément à la série E, page 65 Julien Rémy Pesche (1780-1847).
-
Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe.
-
Marin Rottier de Madrelle (1706, Mayet-1790).
-
Mémoire historique sur le Belinois et observations Julien BODEREAU (1585, Tours-1653).
-
Mémoires de famille (1567-1675), Henry ROQUET (1860-1949).
-
Un animal disparu du Haut Maine, le loup. (B.S.A.S.A.S.)
Le massif forestier de Bercé (Y. Gouchet - 2002) & Bercé, une forêt d’exception (Y. Gouchet - 2018)