DES SECRETS BIEN GARDÉS
Les éhouppeurs
L’éhouppeur ou émondeur
C’est la profession la plus exposée en forêt.
Imaginez-vous grimper à 25 ou 30 m du sol avec votre matériel, et du haut, entreprendre à la hache, l’abatage (1), tout en prenant soin de votre équilibre.
Les grumes de chênes de Bercé, parées de leur belle couleur rosée, sont tendres à souhait et se fendent facilement.
Ces particularités font que les marchands de bois ne tergiversent pas longtemps sur le nombre d’arbres à éhoupper.
La valeur de ces arbres est comme le risque à prendre :
…trop grand.
Lorsque le collet était trop imposant, il était bon d’être au moins deux à bûcher au moment fatidique de la découpe. À trois dans le même hêtre, c’est souvent pour trinquer à la santé d’un photographe.
Sur la photo ci-dessus, Auguste RAMAUGÉ aidé d’un autre éhouppeur, ce vendredi 19 juillet 1935, sont en train d’officier à plus de 25m de hauteur.
Le collet de l’arbre était tellement gros qu’ils ont dû monter à deux pour l’étêter.
(Photo Albert Leclercq)
Les accidents
Cette profession, aristocratie du bûcheronnage a humainement, fortement payé sa dîme.
Nombre d’accidents se sont succédés au fil du temps.
Beaucoup d’entre eux eurent à payer le prix fort de cet éprouvant métier.
Thiodet :
En 1912 Thiodet a eu la main coupée par la hache de son comparse.
Après il avait un crochet.
Malheureusement pour lui, il n’avait pas d’assurance.
Ces «Thiodet» étaient sur Jupilles,
A Jupilles, c’était à l’époque un petit Paris, ils avaient l’eau sous pression,
le soir tout le monde se mettait à faire des sabots.
(Paulette Berthelon)
Mais avec le secours mutuel, la solidarité n’a jamais été un vain mot sur Jupilles.
Témoignages de Marcel Perroux.
Broutté :
Habitant à Saint Pierre, il travaillait pour la Maison Berger (1940-1960)
Dans les derniers jours qu’il avait à faire, avant sa retraite, sa corde était un peu juste et voulant passer un gros collet, le nœud de celle-ci s’est démanché et l’éhouppeur est tombé
Chevereau :
Dans les années 1959/60, il répondait au surnom de Badel « dit Pas d’Ailes ».
En émondant à la hache la tête d’un chêne par temps brumeux, il fut trahit, trop sûr de lui, par celle-ci qui pivota subitement et ça l’a pris en descendant. « Étouffé » par les sangles, un autre émondeur l’a redescendu.
Déstabilisé par des crampons peut être désaffûtés, il glissa le long du tronc. Il décéda peu après.
Cissé Gaston :
Père à Jean-Pierre (Bûcheron et marchand de bois), il travaillait avec le Père Compain. Son décès eut lieu en 1974, dans le milieu de la parcelle 192 (parcelles aux malheurs):
C’était le 02/02 1974, il faisait un vent terrible, c’est le houppier d’un arbre voisin qui était déjà à terre qui d’une branche le blessa à mort.
Durandeau Eugène :
Il faisait avec Brouté partie de l’équipe de la scierie Berger. C’était un gars très fort d’Ecommoy. Bernard Masseau l’a souvent vu assis sur le collet de l’arbre à plus de 18 m de hauteur après l’éhouppement, pour rouler sa cigarette, puis il redescendait.
Avant l’accident du 12 décembre 1923 (article 28/1923) les éhouppeurs ne prenaient pas toutes les précautions voulues et étêtaient bien souvent les arbres sans les ébrancher au préalable rendant la chute des houppiers très aléatoire.
Jousse :
Habitant Mayet, fut aussi secouru par Édouard. A l’hôpital, les infirmiers se demandaient ce que c’était que ces ferrailles aux pieds.
Chesnier André :
Habitant Pruillé l’Éguillé, André a eu les deux chevilles “pétées”. Il fut déséquilibré et tomba à la renverse. On le retrouva pendu par les pieds, depuis plus de deux heures durant, dans Croix Veneur. …il aurait pu y passer.
C’est Jean Chambon qui venait de perdre son épouse (dont le père avait racheté avant guerre les crampons à Émile Vannier) et Édouard Guillier qui l’ont décroché car il n’y avait pas d’échelle assez grande pour le descendre de son arbre.
La cognée est encore du voyage au cas où…
Les incidents
Vannier Émile :
C’est Marcel Ramaugé qui a enseigné le métier à Émile Vannier de Chahaignes, né en 1900.
C’est lui aussi qui lui a vendu ses crampons. André le fils à Émile, était scieur.
Robert Calvel se souvient qu’Émile Vannier de Chahaignes,
éhouppeur, lui raconta qu’un jour devant ses collègues
bûcherons…après avoir eu du mal à éhoupper un arbre,
l’alcool ayant peut-être rendu l’entreprise plus ardue,
il s’enhardit à s’asseoir sur le sommet de la découpe,
afin de lui faire «baiser son cul ».
Peut-être fut-il provoqué du bas par des collègues
légèrement inconscients du danger !
S'asseoir sur le dessus… il y arriva, mais pour en
redescendre, … quelle entreprise périlleuse !
Il fallait arriver à se retourner et se mettre à genoux
sur le collet d’abattage afin d’y passer la corde.
Il promit et jura de ne plus tenter pareille ascension….
là haut le vide le subjuguait, il n’avait plus d’assurance
et pouvait tomber à tout moment.
L’émondage du chêne de Gaie-Mariée
Ce chêne était situé dans la parcelle 194 (régénérée durant la dernière guerre).
Il a été abandonné à l’exploitation le 18 novembre 1946. Mesuré en 1942 par le brigadier Albérola, sa circonférence était de : 3m45 pour 208 ans d’âge et une hauteur totale de 35m dont 22m sous branche. Ce chêne était régulièrement visité par l’École Nationale Forestière de Nancy.
Un autre chêne de 1m05 de diamètre fut exploité dans cette même parcelle en 1953. Cet arbre fut encore appelé le “chêne Ajam”, du nom du député de la Sarthe qui interpella l’Assemblée Nationale pour la sauvegarde du clos du chêne Boppe le 18-11-1907.
Guillier Édouard :
Né le 28 août 1931 à la Mercerie (Jupilles), il habitait Saint Vincent du Lorouër. Il a commencé à travailler en ferme avant de bûcheronner en Forêt. Ses débuts, il les fait en 1956, avec Raymond et Camille Lemoine (il possède alors la première tronçonneuse sur Bercé). Il a terminé sa carrière en 1986.
Le film Chronique de Bercé relate ce dur métier.
Édouard et sa famille en sont les vedettes. Attendu le 23 mai 1972 les cinéastes jusqu’à 8h45. Rejoint l’équipe cinématographique chez Mr Guillier éhouppeur à Saint-Vincent. Robert Calvel
Chronique de Bercé (44'07)
Une année en forêt
Le travail de coupe des arbres par les bûcherons
est montré à l’écran avec une grande précision
technique dans Chronique de Bercé (1976, 45 min) :
Un prologue silencieux donne à voir la préparation
technique de l’ouvrier émondeur sur le point
d’escalader un arbre.
La voix "off" relate les écrits du registre journalier
de Robert Calvel (alors chef de secteur).
Cette chronique commencée un 15 octobre nous fait
vivre une année du travail forestier, essentiellement
en automne et en hiver.
En effet, toute exploitation est interdite à l'époque
dans la forêt de Bercé (Sarthe) entre
le 15 avril et le 15 juillet.
Le printemps est une période dangereuse pour les
émondeurs car la frondaison peut provoquer de nombreux
accidents souvent mortels.
Le printemps c'est aussi la renaissance des jeunes tiges
et des sols fragiles. Aussi le film est-il un témoignage
précieux de ce métier “qui disparaît parce que dangereux”.
Le montage de Bernard Dartigues (assistant réalisateur de
Jacques Demy et de Philippe de Broca, et lui-même réalisateur)
fait alterner cette “tranche de vie professionnelle” avec des
images de chasse à courre, de scènes domestiques mais aussi de
nombreux plans de la nature : cime des arbres, passage
d’un cerf, mouvement des feuilles, noisettes qui tombent au sol.
C’est sans doute l’un des films les plus contemplatifs
d’Armand Chartier, ancien ingénieur des eaux et forêts.
(Propos Gallica {BnF)...réactualisés.
Référence :
https://gallica.bnf.fr/blog/26102022/exploitations-forestieres-des-forets-dompter?mode=mobile
Quelques photos du Making of:
Éluard Guy
Venant du nord du département, Guy rayonne sur l’ensemble des forêts. Le voici dans ses œuvres, en décembre 1985 sur l’éhouppement d’un des plus gros chênes de la futaie des Clos.
Décembre 1985 aux Clos (3'52)
Voici le film muet (sonorisé tant bien que mal) de l’exploitation d’un des plus gros chêne de la futaie des clos qui venait de dépérir.
Impressions
Témoignage d’Édouard Guillier
Au départ, il n’y avait pas de vêtements de sécurité. (Image tirée du film “chronique de Bercé” © Deleule)
Le métier d’éhouppeur était et reste toujours difficile et dangereux.
J’ai commencé à bûcher les pieds dans le fond des Monnées, sans tronçonneuse.
Au début, les salaires étaient plus avantageux. Nous n’avions pas de casque et
un jour, j’ai reçu une trique sèche.
Quand il pleuvait sur les hêtres,
la corde ne tenait pas.
Les hêtres de Bercé, étaient plus durs, alors qu’en forêt de Lyons, ils étaient plus tendres.
L’éhouppement se faisait à l’époque avec une petite hache.
C’était pénible sans l’être, car les premières tronçonneuses étaient lourdes, mais ça partait plus vite avec la tronçonneuse.
C’était tellement épais à c’t’époque-là. Il en sortait du bois.
On n’a pas toujours été heureux à bûcher les souches. J’ai travaillé beaucoup avec Garnier Michel, C.D.S. (Pontvallain) et Lecobois.
Sur le terrain on mangeait dans un balai. De la viande : entrecôte de cochon, ou du poisson : hareng, puis du fromage, pain, pomme, banane ou pêche. La boisson : c’était du cidre. Il y avait aussi la bouteille de goutte cachée sous le balai pour les grandes occasions.
Témoignage de Maurice Vérité :
Dans le temps, les éhouppeurs montaient à deux dans un chêne avec chacun, une petite hache large d’à peine 3 doigts. Quelquefois, ils travaillaient aussi le dimanche pour avancer les coupes quand ils bénéficiaient d’une absence totale de vent. Le vent pour l’éhouppeur est le plus grand danger.
Les œuvres d’émondes
Pratiquée par l’éhouppeur, la sculpture d’émonde rend hommage au chantier ou arbre terminé.
Tombant avec la grume, elle pourra être récupérée…ou pas.
Liste non exhaustive des ouvriers du bois jusqu’en 1970
Aujourd’hui encore, les éhouppeurs restent à nos yeux et pour toujours… les As de Bercé
Une part importante des chênes de qualité et des hêtres au feuillage trop imposant sont systématiquement éhouppés par ces spécialistes venus bien souvent d’ailleurs et plus précisément du nord du département.
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Référence :
(1) l’inspecteur Viney avait lui aussi pris l’habitude d’orthographier le mot “abattage” avec un seul “t” pour se démarquer de la boucherie!
Bercé une Forêt d’exception (Y. Gouchet - 2018)