DES SECRETS BIEN GARDÉS
Carbonisation
Durant la dernière guerre : la carbonisation
La carbonisation, pour une forêt, n’est pas un facteur d’équilibre, car le bois est bien souvent coupé très jeune, dégradant au passage le paysage et les sols.
Bercé en fut protégé dans les temps anciens.
Dans une Notice (1), rédigée pour l’Exposition universelle de 1878, monsieur Larzillière, sous-inspecteur des forêts, écrivait :
Le seul mode de carbonisation dont l’usage soit général en France est le procédé des meules. Les bois sont empilés, par lits superposés, sur une aire dressée avec soin et appelée charbonnière, de façon à former un tas, dit meule ou fourneau, ayant la forme d’une calotte sphérique surélevée. La meule est recouverte d’une enveloppe de feuilles sèches et de mousse sur laquelle on dispose, pour empêcher l’accès de l’air, une couverture de terre mélangée de poussier provenant des fourneaux précédemment carbonisés.
La carbonisation c’est brûler le bois de manière contrôlée en l’absence d’oxygène pour élaborer du charbon de bois destiné entre autre au “gazogène”.
Démonstration de l’inventivité de l’homme, il dut en être fabriqué, aux temps anciens, pour réduire le fer dans les bas fourneaux. Mais jusqu’aux récents conflits… plus rien….
En 1922 l’aménagiste dit de Bercé à propos du charbon de bois : ni marchands, ni propriétaires exploitants carbonisateurs de charbons de bois depuis longtemps sur Bercé, ni dans les environs.
Seul, le fait de la guerre raviva la carbonisation.
L’absence de carburant avait contraint à la modification de certains véhicules pour leur permettre d’utiliser le gaz produit par le gazogène.
Le 19 août 1929 une note secrète émanant du ministère de la guerre, s’enquiert de connaître pour approvisionner le service des poudres, les disponibilités de nos forêts en bourdaine, ainsi que les noms des exploitants industriels qui pourraient être chargés de son exploitation et de sa carbonisation.
Quant à la disponibilité des bouleaux de diamètre 20 en forêt de Bercé, le brigadier Albrecht avait déjà produit le 24 janvier 1927, un état négatif.
..Mais Bercé est peu pressentie pour fournir ce charbon de bois…
De l’avis des inspecteurs, cette forêt est trop prestigieuse pour y développer une telle industrie.
Le service forestier (M.Viney) désigna alors les forêts de Sillé, Alençon ou Senonches pour assumer cette production de carburant forestier.
Néanmoins, durant la dernière guerre, les gazogènes et autres machines à vapeur réclamaient énormément de matière première, l’effort de guerre en nécessitait aussi la propagande et un effort de tous …..
Bercé se plia donc en douceur à la règle.
Rappel :
la production d’une tonne de charbon de bois nécessite la transformation de deux à sept tonnes de bois. Charbonnier était un dur métier. Vivant à proximité des fumées, tout était imprégné de cette odeur âcre. De mai à octobre, ils séjournaient dans les bois et menaient une vie isolée. On mettait le feu à la charbonnière par le haut en versant des pelletées de braises dans la cheminée ménagée au centre. Puis durant 4 jours, 24 heures sur 24 heures, il fallait contrôler la combustion de l’ensemble en bouchant ou non la cheminée avec une grosse motte de terre. Dès que des flammes sortaient par cette cheminée, celle-ci était bouchée. Le charbonnier suivait l’évolution du feu à l’intérieur grâce à la couleur de la fumée qui s’en échappait. Comme il ne devait y avoir ni flamme, ni oxygène, on recouvrait de terre, à mesure que le feu avançait. Tous les jours, on tâtait la consistance de la meule à mesure que la cuisson descendait. Quand la couche cédait, c’était cuit.
Pour l’Exposition universelle de 1937
et jusqu’en 1940 dans les bureaux des Eaux et forêts, situés au 1 de la rue du Port, au Mans, figurait en bonne place une affichette portant la mention :
La guerre en 1939 ravive les charbonnières.
Après l’armistice du 22 juin 1940, la pénurie aidant, on ressortira des tiroirs…le bon vieux gazogène.
Le charbon de bois et le bois ont été les carburants de remplacement les plus répandus pendant les années de guerre….
Il y a donc là une possibilité intéressante, pour les régions forestières dont l’alimentation en gaz naturel n’est pas actuellement prévue. C’est dans la gamme des véhicules utilitaires de charge utile moyenne (3.5 à 7 tonnes) à l’activité régionale et pour les tracteurs agricoles de puissance suffisamment grande que l’emploi du gazogène serait susceptible, en cas de nécessité, de pallier l’insuffisance de nos importations pétrolières (2)
La reprise de l’activité du charbon de bois dans la Ragée, de 1940 à 1942, fut sur Bercé un épisode stratégique, afin d’alimenter les gazogènes, les moulins, boulangeries et charbonniers du Mans.
Le charbon confectionné en meule traditionnelle, était plus ouvrageux que celui du four en tôle, mais en contre-partie beaucoup plus beau. Les charbonniers couchaient sur place afin de contrôler toutes les phases de la carbonisation.
Il y eut donc de la carbonisation et de la mise en sac de charbon de bois dans la vallée de la Ragée. Celui-ci était acheminé en carriole vers le rond du Guignier puis transbordé en camion jusqu’au Moulin de Saint-Georges, près le Mans.
La famille Vannier, comme beaucoup d’autres, issue du monde rural, n’avait guère le choix de se tourner autrement que vers la forêt pour subsister. Le petit bordage ne suffisait en effet plus à l’entretien de la famille. Émile, en 1925 travaille dans les bois comme émondeur et bûcheron jusque vers 1937 puis comme marchand de bois et scieur (scierie de la route du Vaugermain, jusqu’en 1968).
C’est à ce titre qu’en 1940, il est réquisitionné par les Bois de Guerre.
Une technique simple et efficace.
La saison des charbonniers s’étalait de décembre jusqu’à mai ou juin.
*Il fallait tout d’abord aménager et piocher la plate forme d’accueil en supprimant toutes racines : environ 4 heures. vingt pieds de diamètre permettaient d’y loger 18 stères de bois ! Les piles étaient constituées de tronçons de 73 cm de long dont le diamètre variait de 4 à 15 cm. Le montage de la meule s’étalait ensuite sur 5 heures.
Puis la meule refroidissait. A l’aube du cinquième jour, le charbonnier défaisait l’ensemble, en commençant de nuit, pour repérer et neutraliser immédiatement d’éventuels foyers mal éteints qui ne se voyaient pas de jour.
Le charbon « dépoté » était mis en sacs de 50 kg, chargé sur la voiture et livré. Durant 3 semaines, le charbonnier veillait ainsi sur ses meules.
Nos petites meules de l’ouest, contenaient en moyenne 8 à 15 stères.
D'après des relevés faits par des agents
forestiers sur tous les points du territoire,
le procédé des meules donnait, en moyenne par
stère régulièrement empilé de bois de chêne :
82 kg de charbon et par stère régulièrement
empilé de bois de hêtre : 76 kg.
En admettant le chiffre de 425 kilogrammes
comme poids du stère de bois dur on voit que
cette production répond à
un rendement moyen de 17 à 18 %..
Le garde Messager constate le 28 novembre 1940, qu’un fourneau pour carboniser avait été déposé en bordure de la parcelle D1 des Hirondelles. Le 9 septembre 1942 il reçoit une demande de place pour fourneaux de charbons de bois : 2 places à charbon et 1 place à loge dans la parcelle E6 (P. 175 de Sermaize). L’industrialisation est en marche….
L’emploi d’un camion gazogène n’était pas sans risque.
Le 16 avril 1943, à 13h15, le garde Thomas donne l’alerte. Un camion vient de prendre feu sur la RN 158. Après deux heures d’efforts soutenus, le feu est circonscrit. Le chauffeur du camion : Israël Lefebvre (d’Isigny/Mer-Calvados) employé de la maison Dupont d’Isigny, nous a fait savoir que son gazogène avait communiqué le feu à la carrosserie de son véhicule. Pour éviter le pire, il vida le coffre des matières inflammables, mais par malheur un bidon d’huile déjà en flammes mis le feu à la forêt proche (4ha furent incendiés et 200 sauveteurs mobilisés)
Témoignage d’Édouard Guillier (ancien éhouppeur)
Vers 1950 il y avait encore trace dans les Monnées,
sur la route forestière de Chahaignes dans
la pointe à gauche, une hutte à charbonnier.
Ceux-ci vivaient dans leur cahutte,
recouverte de terre.
Alors l’ère des charbonnières entièrement montées sur place et recouvertes de terre pour les envelopper, et faire ainsi cuire le bois, était en partie révolue. Il y avait trop de terrassement à réaliser pour planifier le sol en situation de pente. Pour y remédier, les chaudronniers fabriqueront des fours circulaires, réalisés en plusieurs éléments ajustables.
Ces fours, tout comme la meule traditionnelle étaient destinés à la production du charbon de bois pour les moteurs à gazogène (gaz combustible ersatz de l’essence devenue rare). Ils ont fonctionné en 1941 et 1942 et sont composés de 3 éléments principaux : une base cylindrique de 2,20 m de diamètre avec 4 poignées, un cône d’environ 80 cm de hauteur et un couvercle.
Il faut moins de surveillance que pour les charbonnières traditionnelles, qui exigent une présence constante.
Le cycle de carbonisation avec les fours métalliques ne dure au total que deux ou trois jours.
Tout le charbon produit peut être récupéré, alors que dans les fosses et meules traditionnelles une partie se perd dans le sol' et le charbon récupéré contient souvent des impuretés, terre et pierres.
La durée de vie d’un four métallique n’est que de deux à trois ans à cause des goudrons et de l’humidité.
Le XXe siècle voient la révolution industrielle et la généralisation de l’emploi du charbon fossile (la houille). Le coke se substitue au charbon de bois employé dans les premières machines à vapeur.
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Autres liens concernant les moyens d’exploitation de Bercé
Bibliographie :
(1) Notice sur le débit des bois de feu, leur mode de vente et les procédés de carbonisation usités en France
(2) Session ordinaire du Sénat de 1956-1957.
- Séance du 29 mai 1957.
Documents et archives de l’ONF (livrets journaliers)
Témoignages divers de vieux bûcherons
Bercé, une forêt d’exception (Y. Gouchet - 2018)