DES SECRETS BIEN GARDÉS
Le Cercle des poètes disparus
Marc Bouhours (1)
Résidant à Saint-Vincent-du-Lorouër, ce rédacteur d’« Au Fil du Temps » aimait à se ressourcer dans le bas de la côte de la Jument Blanche. Ses deux poèmes prouvent l’attachement indéfectible qu’il portait à ce lieu si particulier.
La côte de la jument blanche
Attelée à un grand diable trop lourd,
La courageuse vieille jument blanche
Tire éperdument sous les basses branches
Un débardage en cette fin de jour.
Les injures du charretier balourd
Pleuvent, les coups de fouet sur la peau tranchent
Des sillons sanglants et la jument flanche :
La pente est raide et les muscles sont gourds.
Neige nuit tombent ; sous le regard torve
D’un maître odieux, la bête bave et morve,
Se couche et crève dans ce froid tantôt.
Et tandis que la mort est dans la boue,
Une larme coule sur une joue …
La côte est nommée près du rond Wautot.
La Jument Blanche
Un beau jour d’été, la blanche haquenée,
En forêt gambadait joyeusement,
Gente dame montait allègrement
Cette douce jument enrubannée.
La promenade bientôt terminée,
Pourquoi un taon, piqua si méchamment
Dans la robe de la blanche jument,
Vrillant une douleur inopinée ?…
Désarçonnée par un bon démentiel,
La cavalière put voir sa monture,
Telle Pégase, voler dans le ciel…
Avant de retomber dans la nature,
Au bas de la côte, du raidillon,
Brisée, dans les jacinthes d’un layon.
Le corbeau et la grenouille
Noir corbeau virant roulant sur les airs
Croit voir une grosse grenouille verte,
Croit pouvoir croquer cette proie offerte,
L’ombre croît par un ciel couvert :
… Croâ ! Croâ ! … en l’air.
Petite bête au sol lève les yeux :
« Quoi ! Quoi ! Quel est cet oiseau dans les cieux
Qui soudainement dessus moi se penche ?
L’adéquat : que je plonge avec les tanches ! »
… Coâ ! Coâ ! … dans l’eau.
Moralité : Croit quoi ? ! …
Autre source d’inspiration de notre poète :
D’autres artistes ont magnifié la forêt de Bercé :
Charles MORANCÉ (2)
Il habita un temps au Grand-Lucé, est né en 1872 au Mans, rue Montoise, d’une lignée de fabricants de toiles. À 18 ans, après des études au lycée du Mans, il est reçu à l’école des Beaux-Arts de Paris. En 1910, marié, il revient en Sarthe, à Guécélard. Après la Grande Guerre 1914-1918, il résida tour à tour à Paris, au Mans et, suite à un second mariage, s’installa au Grand-Lucé, où il peint et dessine avec finesse nos paysages locaux : le ruisseau de Sambris, la forêt de Bercé, le bourg de Villaines-sous-Lucé, etc.
En forêt de Bercé par C.Morancé
La notoriété de Charles MORANCÉ s’étend largement à notre province, avec ses magnifiques portraits peints à l’huile de monseigneur GRENTE, du cardinal DUBOIS, mais aussi d’un vieil ouvrier manceau et, avec tous les croquis, fusains, aquarelles, dessins au crayon ou à la plume qu’il réalisa.
La précision de son trait dans le détail, la vie dans ses portraits reflètent l’intelligence qui intensifie une œuvre.
Il est mort en 1935. Ses obsèques eurent lieu le 14 novembre au Mans, en l’église Notre-Dame du Pré.
Roger VERCEL (3)
De son vrai nom (dur à porter) CRÉTIN, Roger VERCEL est né le 8 janvier 1894 au Mans, boulevard de la République, dans la maison sise au numéro 131 de l’actuelle avenue de la Libération ; une plaque est apposée sur la façade.
Il est décédé le 25 février 1957 à Dinan où il a passé sa vie de professeur du secondaire.
Il a été remis au goût du jour par Bertrand TAVERNIER qui a repris son roman Capitaine CONAN (prix GONCOURT 1934) pour en tirer un film très réussi sur le thème de la réadaptation parfois impossible d’un tueur « héroïque » dans la guerre 1914-1918, de retour à la vie civile et sa « banalité ».
[…] Parmi ses œuvres marquantes, il faut citer Remorques 1935, mis en scène au cinéma par Jean GRÉMILLON, Jean VILLEMEUR 1939, La Hourie 1942, Rafales 1946, L’été indien 1956, sans oublier Du GUESCLIN 1932 et de nombreux ouvrages sur la Bretagne, la mer, les corsaires, etc.
Cet écrivain reconnu n’a pas hésité à vanter la forêt de Jupilles, comme nous disions avant, dans un texte Montagnes et Forêts du Maine adressé aux Amis des Lettres du Maine de 1936 (p. 327, 328) imprimé par Charles MONNOYER.
Je souhaite, écrit Roger VERCEL, […] que ces lignes intéressent les lecteurs du Bulletin et qu’elles vous prouvent […] toute l’affection et toute l’admiration que je conserve à notre cher Maine.
[…] Non, vraiment, je ne sais, à moins que je ne sache trop … Nous avons en effet, perdu l’habitude et l’amour des paysages harmonieux et mesurés : le goût du colossal et de l’extraordinaire sévit dans le tourisme comme ailleurs. On ne se satisfait plus à moins d’un Mont-Blanc ou d’une mer déchaînée. L’altitude est devenue maladie courante et l’on se sent humilié des dimensions réduites d’un paysage ! … On en reviendra, comme de tous les excès. Et ce jour-là, on reviendra aux forêts et aux montagnes de la Sarthe. On reviendra, dans la forêt de Jupilles, au rond du Clocher, au rond du Guignier, au rond de Mai. Car pour avoir parcouru les forêts des Carpates et de Russie, celles de Norvège, les forêts de chêne-liège et de cèdres du Nord-Africain, pour être aujourd’hui voisin de la légendaire Brocéliande, je puis proclamer qu’il n’existe nulle part perspective de plus magnifiques arbres que celle qui s’enfuit du Chêne Désiré au rond-point de la Coudre. La forêt de Jupilles au printemps, lorsqu’y poudroie le brouillard de la jeune verdure, à l’automne lorsqu’y éclatent les ors et les bronzes, donne à tous ceux qui sont capables de le ressentir, l’inoubliable choc d’une beauté souveraine. […]
Madeleine LEGEAY DE WILDE (4)
Dans la grande forêt, je suis allée me promener. Comme le petit Chaperon Rouge, j’ai folâtré dans les clairières ensoleillées cherchant la violette et la pervenche. Mais je n’ai pas ren¬contré le loup. Sous les hautes futaies de chê¬nes mes pas se sont égarés, faisant crisser les feuilles mortes de l’autre automne. Et, devant les fûts élégants et forts, s’élevant tout droits jusqu’à l’épanouisse¬ment des maîtresses-branches j’ai mesuré ma petitesse. Comme naguère le Petit Poucet, j’ai senti l’immensité de la forêt, sa vie intense et formidable. Je n’ai pas grimpé sur un grand chêne pour essayer de découvrir mon chemin. Car la forêt maintenant est sillonnée de routes jalonnées de panneaux précis et nombreux. Mais, du haut d’une côte, au milieu d’un carrefour, j’ai vu à l’infini le moutonnement vert et doux des bois au début du printemps. J’ai vu des chênes et des hêtres de 250 ans, magnifiques de force paisible et tutélaire. J’ai vu courir l’eau vive des ruisseaux sur le sable clair et les cailloux ronds. J’ai vu les grands étangs limpides et calmes, purs miroirs du ciel bleu, bordés de roseaux jaseurs, tout frémissants d’ondes brèves, rayés de vols d’oiseaux. J’ai vu des troncs martelés pour un prochain abattage, d’autres couchés à terre, grands corps pitoyables et magnifiques. J’ai vu des taillis épais de châtaigniers auxquels se mêlaient les troncs clairs des bouleaux. Devant les trembles, j’ai redit les vers de Paul Fort :
Tremble comme un tremble, Contre mon cœur, Sois un rayon qui tremble, Doux comme la soie.
J’ai respiré l’odeur sèche et salubre des pins sombres ;
sur leurs troncs rouges j’ai vu rire le soleil qui faisait plus bleu leur feuillage.
Et, perdue dans la grande forêts j’ai songé à ceux qui ne vivent,
que pour elle, veillant dessus, la protégeant, l’aimant farouchement de tout leur cœur humain.
Tous ces « forestiers » (qu’ils soient conservateurs des Eaux et
Forêts ou simples gardes, ce sont toujours et avant tout des forestiers)
ne céderaient pas leur place pour un empire.
La forêt est à eux. C’est leur domaine immense, toujours nouveau,
renfermant des trésors connus d’eux seuls.
En réalisateurs positifs, conscients des richesses qui leur sont confiées
et du patrimoine vivant et magnifique sur lequel ils doivent jalousement veiller,
ils peuvent évaluer, vingt-cinq ans à l’avance, le cubage de bois de
tel arbre ou de telle région de la forêt.
C’est eux qui s’occupent de l’aménagement des forêts domaniales,
choisissant les coupes, surveillant les exploitations, effectuant les ventes.
L’entretien des routes, des plantations, des pépinières, des maisons forestières,
la réglementation de la pêche sur les rivières non navigables,
de la chasse en forêt, tout cela relève de leur domaine.
N’importe quel forestier de notre région finira toujours par
vous parler de la célèbre forêt de Bercé ou Jupilles, le joyau de la Sarthe.
Cette qualité tient à ce que depuis toujours notre forêt de Jupilles a
été soignée et merveilleusement entretenue.
Un chêne de Bercé fait couramment 18 mètres de fût propre, donnant un
cubage de 6 à 7 m3 en général. Quand on sait que le prix du mètre cube
varie de 10 à 20.000 francs, on perçoit la richesse et la valeur d’une pareille futaie.
Les forestiers doivent aussi s’intéresser aux hôtes de nos bois,
voire à leur destruction lorsqu’ils menacent, par leur nombre,
de devenir un vrai fléau.
C’est ainsi que, chassés de l’Est par la guerre, des tribus entières
de sangliers ont émigré dans nos régions.
Pas du tout ou très peu chassés durant toute l’occupation,
ils ont eu la vie magnifique et se sont multipliés dans d’effarantes proportions.
Tout cela, les forestiers vous le diront, chiffres en mains.
Mais tandis qu’ils vous parlent ainsi sur un ton neutre,
comme s’ils traitaient une affaire commerciale, avec un apparent détachement,
regardez un peu leurs yeux. Et vous saurez alors, comme je n’en doutais
depuis longtemps, que tout « forestier » est d’abord et avant tout un poète.
Christian Pineau (5)
Histoire du petit Hêtre.
Le grand chêne était déjà vieux et solennel lorsque le petit hêtre commença timidement sa carrière dans la forêt. Comment comparer l’aigle et le moucheron, sinon en constatant que la nature les a tous les deux créés pour vivre et pour voler? Pendant les premières années de sa vie, le petit hêtre ne se préoccupa guère que de prendre la force nécessaire. […]
…………………………………
[…] Il tenta de fléchir une seconde fois le seigneur de la forêt :
— Ne vois-tu pas que je suis devenu adulte? Je ne suis ni grand ni beau comme toi, mais je connais déjà le langage des arbres. Les petits oiseaux viennent se poser sur mes branches; bientôt sans doute, ils y installeront des nids. Fais-moi un peu de place et je monterai avec toi la garde au-dessus de la forêt.
— Fétu, répondit le grand chêne, tu ne vaux pas la moindre de mes branches et tu prétends te hausser jusqu’à ma gloire? Ta vie ne saurait se confondre avec la mienne.
Le petit hêtre n’insista plus. Il mêla ses branches à celles des petits hêtres voisins, aspirant comme eux à la lumière du ciel. Mais il regardait mélancoliquement la frondaison qui formait un immense parapluie et lui volait sa lumière. Mais des hommes, qui ne connaissaient point la forêt ni le métier de bûcheron, vinrent rôder au pied du grand chêne. Ils avaient froid, ils voulaient se chauffer. Ils coupèrent tous les petits hêtres, laissant l’énorme tronc isolé au milieu d’une clairière dénudée. Le petit hêtre fut débité en rondelles de taille égale que les hommes installèrent en tas sur les bords du chemin.
— C’est bien, pensa le grand chêne; me voici débarrassé de ces parasites qui grouillaient à mon pied, me volant ma sève. Désormais les habitants de la forêt pourront m’admirer sans la moindre gêne.
Maurice Marie Charles Joseph De Wulf (6)
L’Œuvre d’Art et la Beauté… Le Beau dans la Nature
L’ordre de beauté qui impressionne dans la forêt émane de la vie puissante qu’on y voit partout circuler. Ici point de ces bosquets arrangés, de ces bois artificiels où les arbres semblent obéir à un mot d’ordre et se grouper avec la permission de l’homme. Des végétations somptueuses couvrant de vastes domaines, et dont le forestier se borne à corriger ou à diriger les fantaisies, sans entraver l’exubérance et la finalité de la nature vivante. On la saisit différente dans l’arbre et dans la collectivité. Le chêne parle tout entier de sa robustesse : l’écorce rugueuse, le tronc solide, l’armature des branches, la couronne arrondie en crinière, et les racines bien apparentes, si énergiquement enfoncées dans le sol, qu’elles semblent devoir " toucher à l’empire des morts “.
(0) Avez-vous remarqué comme la beauté du chêne grandit quand on songe à sa longévité, ou que la vue d’un gland nous reporte à ses origines modestes ? C’est qu’alors de nouvelles relations d’ordre alimentent l’intelligence et enrichissent sa contemplation. La durée est un indice de la force, et on comprend que les druides aient divinisé, dans les forêts vierges de la Gaule, l’arbre dont la vigueur symbolisait pour eux la vie. Le cycle des saisons montre la beauté du chêne sous des aspects divers, parce qu’il met en valeur les manifestations variées de sa force vitale. La lumière vive du printemps accuse les reliefs de l’écorce, et dépose un sourire sur le vert tendre des feuilles. L’été déploie les frondaisons luxuriantes et sombres. L’automne les couvre de paillettes d’or, et, quand décembre a dépouillé la couronne, l’arbre apparaît tout nu, montrant les détails de son ossature. Formes des feuilles et des branches, lignes du tronc et de la tête, couleurs des parties et de l’ensemble, tout s’ordonne et converge vers une impression unique. Que dire du vent qui prête à l’arbre l’apparence du mouvement autonome, et contribue à faire de chaque chêne une individualité : c’est la brise légère qui frissonne dans les feuilles sans remuer les branches, c’est le vent d’automne qui sème les feuilles mourantes, ou encore l’ouragan dont l’effort fait ressortir la force du colosse.
(0) Dans la forêt de Bersay, entre le Mans et Château-du-Loir, le chêne “Bopp” a vingt mètres de haut; il est droit comme une colonne; pas un nœud ne dépare le tronc qui s’est développé en torsade ; la couronne est symétriquement développée. Cet arbre-roi, entouré d’une cour d’autres géants, est une des merveilles forestières de la France.
Joël SADELER
Marcel OLIVIER
Petit clin d’œil d’un habitant de Jupilles.
L’historien local nous éclaire
tous n’ont pas disparu !
BLEUET nous fait parvenir ces quelques mots :
Ma forêt de Bercé
En cette forêt où se berce ma tendre enfance
Au cœur de ma terre les souvenirs s’enracinent
S’accroche en mon écorce l’odeur de la résine
Aux chênes se gravent les lignes de ma naissance.
Je voudrais tant revoir s’écouler les jours heureux
A la Coudre retrouver la source de mes hiers
Ecouter chanter le silence de l’Hermitière
Mais leurs âmes s’accrochent aux branches de ce lieu.
Quand vient l’automne au sol jonché de ses feuilles mortes
Le vent jamais n’efface l’empreinte du sentier
Et je renoue mon histoire au charme suranné
Du temps de nos cueillettes je garde la récolte
Lorsque le dernier hiver frappera à ma porte
L’heure sera venue de vous rejoindre là-bas
J’irai retrouver l’arbre qui m’ouvre grand ses bras
Pour me bercer avant que le diable ne m’emporte
Bleuet
Joël PICARD … Un responsable Atypique et poète.
L’illumite… au pays des Oulines
Autres liens concernant les curiosités de Bercé
Bibliographie :
(1) Écrits de notre ami d’Au Fil Du Temps (Ref : AFDT n° 21 du 30 septembre 2003)
(2) Charles MORANCÉ par Marc BOUHOURS (AFDT n° 6 du 24 août 1999)
(3) Roger VERCEL par Marc BOUHOURS (AFDT n° 9 DU 30 septembre 2000)
(4) FORETS DE CHEZ NOUS “les Cahiers du « Maine Libre-Madeleine LEGEAY-DE WILDE.” 2ème année N° 18 – Mai 1946
(5) Histoires de la forêt de Bercé - Christian PINEAU 1958 (Histoire du petit hêtre)
(6) Maurice Marie Charles Joseph De Wulf (1867-1947) est un historien belge de la philosophie médiévale. Il fut professeur l’université catholique de Louvain (Institut supérieur de philosophie) et à Harvard. (Parution : 1920 - L’Œuvre d’art et la beauté - pages 127 à 129) Conférence faite par Maurice de Wulf (professeur à l’université de Louvain) au sein de la faculté des Lettres de Poitiers en 1915/1916.
Autres contributeurs (liste non exhaustive)
ANDRÉ HALLAYS (publiciste) a écrit sur la sauvegarde du chêne Boppe
Henry ROQUET a écrit “Les beaux vieux arbres de la Sarthe”