DES SECRETS BIEN GARDÉS
Fabricant de battoirs
Laissons la parole à nos témoins.
Après la dernière guerre, je suis allé en apprentissage chez Auguste BORDERON au « SAULT », à PRUILLE-L’EGUILLE. J’avais alors 14, 15 ans. Il y avait là Albert LEROY, mon oncle CHEVEREAU Hippolyte, « Georges » et Auguste BORDERON, le fils. On faisait de la boissellerie : boîtes à sel, chantepleures, grugeoirs, pistons de pompe, moules à beurre et surtout des battoirs pour le linge.
Le père BORDERON, qui était aussi marchand de bois, prenait son hêtre en forêt de Perseigne et quelques fois à Bercé. Il le faisait débiter à la scierie de Jupilles en planches de 27 millimètres qu’on transportait dans un hangar à Pruillé pour les faire sécher sur des taquets.
A l’atelier, on traçait les battoirs au crayon sur les planches avec des modèles qu’on plaçait tête-bêche, afin de limiter les pertes en bois. Fallait faire attention aux nœuds, à la plus petite fente.
Il nous est même arrivé de trouver des éclats d’obus dans des hêtres de Perseigne probablement suite aux bombardements d’Alençon.
On laissait de côté les planches qui faisaient « le rond ». Après le marquage, on emmenait la planche à la scie à ruban, une scie à chantourner ; et chaque battoir se trouvait ainsi découpé.
Ça allait vite, le gars était habitué… Ensuite on les passait à la raboteuse puis à la toupie pour faire disparaître les marques de scie.
Il fallait alors façonner chaque manche au tour et bien le dégager de la « palette » au paroir.
“ Après avoir atteint un nombre suffisant de battoirs, on les transportait dans un autre bâtiment pour les fumer à la cheminée. On en rangeait une centaine, en trois couches sur « chant », dans une sorte de cage à parois verticales, qu’on appelait la grille. Dessous on étalait des carreaux (morceaux de bois) et on couvrait le tout de copeaux mouillés. Alors on allumait. Il y avait une fumée si épaisse qu’on n’y voyait rien…Et ça sortait de partout : de la porte, des fenêtres et nous, on sentait… Enfin, fallait bien rester : si les copeaux faisaient mine de s’allumer, hop ! un petit coup d’arrosoir et ça refumait. La surveillance durait parfois toute la matinée. Après, les battoirs avaient une belle couleur dorée et leur bois avait durci. Il ne restait plus alors qu’à stocker la marchandise à l’abri jusqu’à ce qu’une cargaison soit prête et qu’un camion vienne en prendre livraison pour la gare des Tramways de Pruillé ou d’Ecommoy.
A midi, la patronne, Cécile BORDRON, nous préparait à manger et c’était bon. Quelle cuisinière… Elle tenait d’ailleurs un café-noces-banquets, avec possibilité de bal grâce au « Gasparini » dont les cartons perforés faisaient danser la jeunesse.
En ce temps-là on faisait nos 60 heures : 10 heurespar jour, même le samedi . Le matin de 7 heures et demie à midi et le soir de 1 heure et demie à 7 heures.
On fabriquait plusieurs modèles de battoirs :
Ceux du MANS :
palette ronde à manche long pour laver debout et un modèle à manche normal pour laver dans « la boîte à laver » ;
Celui de LAVAL
à palette amincie de 18 cm de large.
Pour la Manche:
on faisait le même avec une pelle de 22 cm : ils étaient bien lourds) ;
Celui d’ANGERS et le battoir parisien. ”
“Mon père Auguste BORDRON employait des ouvriers spécialisés dans la façon des pelles (comme Félix Doucet), des plats (Gabriel Dupuis), des tourneurs (Alfred Bellanger et Marcel Bruneau), des fendeurs (Alphonse Bellanger), des bûcherons (Jacques Schepper et … Compain)" (1)
Pour satisfaire les nombreuses commandes, il demandait les produits manquants à d’autres boisseliers qui fabriquaient les bouche-bouteilles, les pistons de pompe, les robinets, …
Au milieu des années cinquante, son activité cessa faute de demandes et d’ouvriers bien formés. Mais l’industrialisation avec la concurrence des produits métalliques et l’apparition des matières plastiques a fait disparaître notre artisanat qui faisait vivre la région. ”
(1) d’après le registre des comptes de M. BORDRON, année 1942.
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Bibliographie :
Revue Au Fil du temps N° 1 & 2 (Y. Piraux – 1997/1998) Enquête de: Véronique Chanteau, Nicole Leroux et Yves Piraux (Au fil du temps) Avec les témoignages de : “Gaby” CHEMIN, Auguste BORDRON et Albert LEROY de Pruillé-l’Eguillé